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Introduction
Le barrage de Malpasset est tristement célèbre pour la catastrophe qu’il provoqua le 2 décembre 1959 à 21h13 lors de sa rupture faisant 423 morts et disparus. C’est la plus grande catastrophe de ce genre qui n’ait jamais touché la France.
Ce barrage fut pourtant construit par un ingénieur renommé, André Coyne alors président de l’Association Internationale des Grands Barrages et spécialiste incontesté de la construction de barrages. Il se suicida 6 mois après la catastrophe. Alors comment une tragédie pareille a-t-elle pu se produire ? Quel est le niveau de responsabilité des différents acteurs de ce projet ? C’est ce que nous essaierons de déterminer au cours de notre analyse en analysant le contexte, les circonstances ainsi que les causes en s’appuyant sur des faits et rapports concrets.
Contexte
À la fin de la seconde guerre mondiale, le Var doit se reconstruire et s’équiper pour son avenir. Un des principaux problèmes de cette région concerne la pénurie d’eau qui va en s’accentuant chaque année car il y a des besoins considérables notamment à cause du tourisme. En outre, les pluies sont très irrégulières : l’équipement hydraulique est donc une priorité.
Il faut donc aller vite : tout retard étant vraiment handicapant pour l’avenir de la région à la fois sur le plan humain, agricole et touristique. Si bien que les responsables départementaux se doivent de répondre le plus rapidement possible à ces impératifs pour le bien des concitoyens.
Ainsi, dès 1946, le Conseil général lance un appel d’offre et se lance dans la sélection d’un projet susceptible de résoudre définitivement ce problème vital. Devant le nombre de projets et les controverses, l’administration fait appel aux hautes instances ministérielles. Finalement, le ministère de l’Agriculture sélectionna, le 3 août 1950, le projet de barrage établi sur le Reyran plutôt que celui sur la Siagnole.
Le Conseil général, soucieux de réaliser rapidement ce projet d’équipement hydraulique, pour lequel « le concours financier du ministère de l’Agriculture était indispensable »4, approuva le principe de la création du Barrage du Reyran . D’autant plus que le ministère de l’Agriculture promettait sur ces travaux «une subvention globale de 60 % sur l’ensemble du projet (barrage et travaux d’irrigation agricole) »4. Le ministère de l’Intérieur laissait de son côté entrevoir la possibilité de subventions pour l’aménagement en eau potable des villes du littoral.
D’autre part, le projet de barrage de Siagnole n’était accompagné d’aucune promesse de subvention immédiate. Cela revêtait une importance compte tenu de l’urgence des travaux.
L’étude préalable : une prévision de la catastrophe
Le barrage fut l’œuvre du conseil général du Var. « Les archives attestent que tous les crédits qui lui ont été demandés ont été votés. Qu’il s’agisse de crédits d’étude ou de crédits d’exécution »4 .
Sur la proposition du conseiller général, le professeur Georges Corroy de la faculté des sciences de Marseille fut chargé de l’étude géologique préliminaire, il donna un avis favorable. Les crédits nécessaires aux premières études furent alors votés le « 31 juillet 1946 »4.
Un premier rapport fut déposé le 15 novembre 1946 par le professeur. Il avait étudié les roches au laboratoire des sciences de Marseille. Dans un long mémoire intitulé « L’alimentation en eau de la région orientale du département du Var et le barrage de Malpasset près de Fréjus »4, le professeur indiqua « Malgré la multiplicité des accidents de détails décrits […], le bassin de retenue se présente dans d’excellentes conditions géologiques au point de vue de son étanchéité »4 .
Quant à l’emplacement du barrage et à son implantation, le géologue conclut « toutes ces observations superficielles montrent que la série des gneiss du Reyran est loin d’être homogène, et que les assises d’un futur barrage en ce lieu devraient être préparées par des travaux de recherches. […] la présence des filons de pegmatite, aux phénocristaux facilement altérables, comme susceptibles de provoquer des pertes plus ou moins importantes sous l’ouvrage et dans les épaulements rocheux du barrage »4 .
Malheureusement, le conseil général ainsi que, par la suite, le cabinet de Mr Coyne furent satisfaits par l’impression générale plutôt positive sans prendre en compte les travaux de recherches suggérés par le géologue. Cependant, la procédure respectait les normes en vigueur de l’époque qui n’étaient alors pas aussi restrictives que celles actuelles.
Pour l’étude de l’avant-projet du barrage, le conseil général s’adressa au cabinet de Mr Coyne, président de l’Association Internationale des Grands Barrages. En 1950, le bureau d’études A. Coyne et J. Bellier posa trois questions au géologue :
« Y a-t-il de votre part, objection quelconque : 1. À déplacer l’ouvrage vers l’aval ? 2. À le surélever jusqu’à la cote 130 ? 3. La surélévation du plan d’eau jusqu’à la cote 130 pose-t-elle un problème d’étanchéité de la cuvette ? » 4
Le géologue répondit :
« 1. Non, il est possible de déplacer l’ouvrage de 200 mètres. L’ancrage ne présente a priori pas plus de difficultés tant sur la rive gauche que sur la rive droite […] 2. Il n’est pas possible de surélever le plan d’eau jusqu’à la cote 130. La cote 120 sera la cote maxima. 3. L’étanchéité de la cuvette n’est pas menacée par la surélévation de l’eau »4 .
Selon Mr le professeur Roubault, à qui on a demandé ce qu’il pensait de l’étude géologique, « Une étude géologique préliminaire du site avait été faite et même bien faite. Mais à partir de là, la construction de l’ouvrage se déroula, hélas, sous le signe de l’économie fatale : les travaux de recherche sur la solidité par sondages et galeries ne furent jamais exécutés […] au simple vue des roches sans études systématiques de leurs qualités et une absence pratiquement totale de surveillance géologique pendant le cours de la construction. L’importance pourtant capitale de la qualité des appuis avait été méconnue»4 En effet, les quelques échantillons de l’étude furent considérés comme représentatifs de la structure géologique du terrain. Le reste de la « vérification » fut faite simplement de visu.
Le Conseil général, à la suite de la catastrophe, se défenda d’avoir voulu faire des économies et indiqua que « On avait même prévu la possibilité d’une avance de 27 millions pour les travaux de sondage […] et M. l’inspecteur général Quesnel a estimé que 8 millions suffiraient parce qu’il est inutile de faire les sondages comme on les fait habituellement pour ces sortes de barrages»4.
Cependant, on peut légitimement se demander en quoi et sur quels critères Mr Quesnel a pu estimer que les sondages habituels étaient « inutiles ». Mr Quesnel a indiqué « on était certain d’avoir un ancrage très sûr »4 . Ainsi Mr Quesnel, de par un effet d’ancrage sur l’analyse géologique initiale, considéra inutile de faire des études approfondies.
Le barrage
L’ingénieur André Coyne était alors célèbre pour avoir remis à l’honneur les barrages-voûtes en France. Il avait déjà construit quasiment « une centaine de barrages dont un quart à l’étranger » 2.
Le barrage-voûte est la synthèse d’une formule mathématique audacieuse. En effet, « la forme dynamique d’un arc de béton renvoie la forte pression de l’eau emprisonnée à chacune des rives ». En bref, la forme astucieuse du barrage-voûte est en quelque sorte « insensible » à la pression : plus la pression est importante, plus elle ressert le mur et plus le barrage « s’ancre » dans la roche. Cela en fait un type de barrage extrêmement résistant et permet aux ingénieurs de mettre à profit cette pression afin de diminuer l’épaisseur du barrage sans porter atteinte à sa solidité. Il est d’ailleurs important d’indiquer que le barrage de Malpasset avec une épaisseur de mur de 6,78m en faisait « le barrage le plus mince d’Europe »4 .
Mais « il va de soi que ce type d’ouvrage exige, et cela est capital, que les berges, recevant le gros de la pression soient d’une robustesse à toute épreuve »2.
De multiples problèmes
Après la construction et jusqu’à la catastrophe, il ne fut pas possible de remplir le barrage. D’une part, à cause du manque de pluie et, d’autre part, à cause d’une procédure juridique concernant des problèmes d’expropriation entamés par la compagnie qui exploitait les mines de Spath fluor situées dans le périmètre du lac.
Or, la phase de premier remplissage est extrêmement délicate. Les contraintes s’exerçant alors sur l’ouvrage s’apparentant à celles causées par un séisme, il est important que la toute première mise en eau soit régulée, contrôlée, progressive et surveillée afin d’étudier le comportement de l’ouvrage au cours de cette phase critique.
Le début de la fin
André Ferro, le gardien de vanne s’inquiète d’abord des déformations de la voute mais les ingénieurs le rassurent en lui indiquant que cela prouve le « comportement élastique et satisfaisant du béton de la voûte »2.
En novembre 1957, les travaux de l’autoroute Estérel-Côte d’Azur déclenchent, à moins de 300 mètres à vol d’oiseau, des tirs de mines importants. André Ferro faisant sa ronde sur la voûte ressentit sous ses pieds la déflagration. Il organise un séminaire avec les responsables du Génie rural. Les conclusions rassurantes formulent que les tirs n’ont aucun inconvénient pour le barrage et ils reprennent de plus belle… Par la suite, André Ferro témoigna que lorsque les tirs survenaient, la surface de l’eau se ridait.
Au mois de novembre 1959, après une longue période de sécheresse, la région dut faire face à 3 semaines discontinues de pluie diluviennes de sorte que le barrage se trouva, par la force des choses, mis en eau totalement et subitement. C’était de fait, le premier remplissage, la phase la plus critique de la vie d’un barrage. Or, ce remplissage n’a pas été contrôlé.
La catastrophe
C’est donc le soir du 2 décembre 1959 que l’ensemble céda en libérant une vague de 60 mètres de haut (la hauteur du barrage) et 50 millions de mètres cubes d’eau qui déferla à la vitesse de 30 km/h sur Fréjus en à peine 20 minutes. La vague surprit les habitants de Fréjus en pleine soirée. Elle épargna le quartier situé en hauteur et le contourna pour ravager tout le reste et être à l’origine de véritables drames familiaux : des enfants doivent d’avoir eu la vie sauve au fait d’être allés se coucher au premier étage et d’avoir pu se réfugier en haut des armoires tandis que les parents, restés lire au rez-de-chaussée n’ont pas survécu.
Bilan 423 morts et 951 immeubles touchés, dont 155 entièrement détruits.
Analyse technique
Comme souvent, quand de telles catastrophes se produisent, c’est une convergence de nombreux éléments qui expliquent l’événement. Tout d’abord, c’est la nature même de la roche qui est majoritairement responsable. Une fois le barrage mis en eau, la pression sur les roches du sol, au fond des 60 mètres de profondeur, est maximale. Elle a donc cherché à s’échapper à travers des failles. Or l’étude et l’homogénéisation de la roche ayant été approximatives, elle n’a eu aucun mal à en trouver. Petit à petit, la pression d’Archimède exercée par cette eau va augmenter jusqu’à ce que le barrage explose.
C’est là que la finesse du barrage a constitué un élément aggravant. Petite illustration : projetez une boule de pétanque contre une vitre elle va casser. Par contre, remplacez la boule de pétanque par un palet (de même dureté et de même poids) et projetez le bien à plat contre la vitre. Plus le palet aura un diamètre large, et plus la vitre résistera. Ainsi, plus le point d’impact est concentré alors plus le choc est violent, et plus la surface d’impact est large alors plus le choc sera diffus bien que la force soit de même intensité. Ainsi, la finesse du barrage a agit sur les points d’ancrage dans la roche exactement comme une boule de pétanque, les contraintes soudainement augmentées par le soulèvement du barrage, se sont concentrées sur une roche fragilisée d’abord par sa nature, et ensuite par les vibrations causées par les explosions du chantier de l’autoroute voisine.
Ce n’est donc pas la fragilité du barrage qui est en cause (aujourd’hui encore, les techniciens s’accordent à dire que la structure était parfaitement dimensionnée) mais les ancrages dans la roche environnante fragilisée et insuffisamment consolidée et donc incapable de résister et de supporter les contraintes.
Conclusion
Cet évènement aura profondément choqué l’opinion publique et a constitué un souvenir marquant pour tous les ingénieurs en génie civil autant par le fait que les normes en vigueur ont, par la suite, subit un remaniement important mais aussi parce qu’André Coyne, profondément affecté par ce drame, s’est donné la mort quelques mois plus tard. Ce projet aura malheureusement été victime de divers biais de traitement : celui de représentativité pour l’analyse géologique, d’ancrage pour la prise en compte des évènements annonciateurs lors des inquiétudes du gardien (déformation de la structure, les tirs de mines pour la construction de l’autoroute…) qui se plia aux paroles réconfortantes de la hiérarchie. Et sans doute, de l’escalade de l’engagement qui fait, qu’une fois construit, les ingénieurs n’ont pas voulu considérer les signaux d’alerte. Sans oublier le manque d’argent auquel a fait face le conseil général et qui a influencé la sélection d’un projet fortement subventionné. Espérons que ce genre de drame avec ces conséquences humaines lourdes aura permis que ce type de situation ne se reproduise plus jamais.
Bibliographie et webographie
1 Malpasset une tragédie déjà entrée dans l’histoire
3 La catastrophe de malpasset Adresse Internet : http://www.ecolo.org/
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2 Barrage de Malpasset – De sa conception à sa rupture
Voir p.3 4
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